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Stage avec Jean-François Busquet

Écrit par Christophe Durandeau

Fin mars un petit groupe du Bonsai Club Girondin avait planifié un week-end de travail avec Jean-François Busquet. L’occasion de travailler ses arbres en immersion totale sous la direction d’un des plus grands artistes bonsai français.

Nous partons de Bordeaux le vendredi en début d’après-midi, afin de ne pas arriver trop tard à Tuchan. 4h de route quand même. Durant le voyage les discussions sont forcément orientées bonsaï et il nous tarde d’arriver. Au bout de 3 heures nous quittons l’autoroute et entrons dans les Corbières, au paysage si typique. C’est assez vallonné, très rocheux, des touffes de verdure poussant à même la roche que l’on s’imagine être des bonsai potentiels (mais quasi toujours impossible à prélever, les racines plongeant dans les interstices de la roche).

Nous arrivons à Tuchan, chez Jean-François. Nous sommes accueillis par les aboiements de sa chienne noire. Dès que nous entrons c’est un vrai pot de colle, elle gambade entre nous, attendant qu’on la caresse.

Un amateur est déjà là, en train de se choisir un arbre pour un prochain stage. Pendant que Jean-François s’occupe de lui, nous regardons son jardin. Il y a beaucoup d’arbres dans un petit jardin de ville. Et quels arbres ! Ce sont quasi-exclusivement des prélèvements de la région ; des buis, des oliviers, des amandiers, des pins, des arbousiers, des romarins, des genévriers (phénicie et cade).

Rangés de chaque coté de la cour, la collection personnelle de Jean-François. Nous sommes plus habitués à voir ces arbres en condition d’expo, là nous les voyons dans leur lieu de vie. Nous apprécions la finesse du travail. 





Après une heure passée dans ce jardin, à regarder ses prélèvements, Jean-François  nous propose de partir voir la nouvelle serre qu’il vient d’aménager, à quelques minutes de voiture. Nous y découvrons des buis aux formes étonnantes. Une véritable caverne d’Ali-Baba ! 

Véritable « Appellation d’Origine », les buis des Corbières ont des formes très particulières. Des troncs avec beaucoup de mouvement, des bois morts de toute beauté. Ces arbres ont poussés dans des conditions très difficiles. Sur les hauteurs de Tuchan il y avait une petite station météo, l’année dernière elle a été arrachée  par le vent. La dernière information qu’elle ait enregistrée ce sont des vents à plus de 250km/h !

Les arbres poussant dans ces endroits sont ainsi régulièrement blessés par des pierres, par le vent qui arrache les branches qui ont trop de prise au vent. Cela nous donne du matériel d’excellente qualité pour en faire des bonsaï. Des arbres rabougris, avec des mouvements très près de la base, des sharis de toute beauté. 

J’ai l’impression de ne voir que des merveilles autour de moi. Je remarque aussi que les arbres ont subits une première taille. Jean-François m’explique qu’il est obligé de faire un peu de « ménage » quand l’arbre est encore en terre, pour regarder le tronc, les branches. A ce stade les branches les plus basses sont enlevées (elles ne sont de toutes façons rarement utilisables pour la mise en forme).









Jean-François nous montre une grosse pièce dans le coin de la serre. C’est un prunus spinosa ! C’est un sujet assez exceptionnel.

Dans cette serre, pas de pins. Ils ne sont jamais mis en serre après prélèvement ; car ils vont rester bien verts mais ne racinent pas. Les pins sont donc dehors, à mi-ombre.

Après un bon moment à flâner entre les arbres, nous montons au gîte Saint Roch. Il se trouve sur les hauteurs de Tuchan, nous prenons la petite route qui mène au mont Tauch. Les amandiers sont en fleur, ça grimpe, le soir arrive. Nous arrivons au gîte et profitons de la vue magnifique sur la vallée.



Le gîte est une ancienne bergerie rénovée. Nous remarquons de grands panneaux photovoltaïques ; le gîte est entièrement alimenté à l’énergie solaire !

L’hôtesse du gîte nous a préparé un bon repas, Jean-François se joint à nous. Discussions bonsai bien entendu ! Nous ne pouvons nous empêcher de filer dehors et discuter autour des arbres que nous avons apportés.

Après une bonne nuit de sommeil, lever à 7h30, début du travail à 9h. Nous faisons à nouveau un rapide tour des arbres, puis Jean-François les analyse plus précisément. Tout le monde participe à la discussion. Choix de la face, de l’inclinaison, des différentes options pour l’arbre. Il y a beaucoup à apprendre dans ces discussions, surtout sur les choix qui ne sont pas valables. Les raisons pour lesquelles telle branche ne peut être conservée, pourquoi cette face et pas celle là.


Des branches commencent à tomber, d’autres seront pliées, le travail du week-end est planifié.


Je me rends compte que Jean-François a une approche du bonsaï toute en finesse et il tire admirablement parti de ce qu’il a pu apprendre avec des artistes aussi différents que Hideo Suzuki ou Pius Notter ; sa façon de faire du bonsaï est un mélange de tout ça.

Le but du stage est que chaque participant reparte avec un arbre ayant subit une belle mise en forme. Mais ce n’est pas de la démo, du « bonsai instantané ». La première approche de l’arbre est toujours respectueuse des règles (nebari, ligne de tronc, conicité, implantation des branches principales). Puis la structure est mise en place, parfois avec de gros pliages, mais pas de scoubidous pour compacter au maximum. Certaines branches sont laissées volontairement trop longues, mais en ouvrant complètement la ramification. Avec le temps, le bourgeonnement arrière viendra tout naturellement.

Il y a souvent des pliages ou du moins des positionnements de branches un peu délicats. C’est la troisième fois que je participe à ces stages et je me suis fait chaque fois la même réflexion ; en travaillant seul j’aurai laissé le tronc tel qu’il était, je n’aurai pas plié la branche principale. Chaque fois j’ai vraiment l’impression que Jean-François nous aide à tirer le maximum de chaque arbre.

Un soin tout particulier est porté à la pose du raphia, ou du moins à la préparation de la branche. Tous les petits moignons seront enlevés, la branche doit être bien lisse. Jean-François n’hésite pas à parcourir la branche avec sa main, afin de vérifier qu’il n’y a pas d’aspérité. Ainsi le raphia sera au plus près de l’écorce, il ne baillera pas, et sera plus efficace. Nous commençons un nettoyage méticuleux, sur les buis Jean-François nous montre comment il passe la main et caresse la zone à plier, elle doit être lisse, sans aspérités.

S’il y a un petit shari, il faut noter son endroit. Car la branche ne pliera pas à cet endroit, il y a risque de cassure. Il faudra donc plier un peu avant ou un peu après.

Le buis a la réputation d’être très cassant. Pourtant des branches de plus d’un centimètre de diamètre vont être courbées. Pour éviter la casse, deux fils de ligature sont posés, non accolés mais décalés d’une spire. Ainsi un maximum de surface sera protégée par le fil.

Nous nous rendons compte que rien n’est laissé au hasard et qu’il faut vraiment s’astreindre à travailler du mieux possible.

Jean-François nous a aussi demandé de ne pas arroser les arbres avant le stage. Lorsqu’ils sont assoiffés ils sont moins cassants. C’est un constat qu’il a fait en faisant des repérages de prélèvement, à un moment où le temps était très sec, il n’avait pas plu depuis des jours et des jours. En essayant de dégager la base des souches de buis, il a remarqué que les branches pliaient mais ne cassaient pas. Il arrivait à les courber quasiment à 90° !

Nous posons la ligature. Jean-François surveille de près, plus particulièrement sur le buis où il faut soigner le point d’ancrage des branches et des rameaux. C’est un endroit très cassant, si l’on veut avoir un minimum de liberté dans le positionnement des rameaux, il ne faut pas que le fil de ligature baille au niveau de l’ancrage.

Quand vient le moment de positionner une branche, Jean-François est aux commandes. Il a un contact presque charnel avec les arbres. Quand il met en place une branche, il la prend en main, il la touche, il la sent sous des doigts, il la comprend. Pour plier une branche, surtout du buis qui est assez cassant, il faut toujours utiliser les courbures naturelles et les accentuer. Ne pas aller à l’encontre de l’arbre, ne pas forcer l’arbre mais utiliser toutes ses caractéristiques.
Bien entendu, nous pouvons nous même faire le pliage. C’est d’ailleurs la meilleure façon d’apprendre, Jean-François guide alors la manipulation.

Le stage s’étale sur deux jours, entrecoupés de bons repas préparés par notre hôtesse. Deux jours permettent aussi de prendre le temps de bien travailler. Chez moi je n’ai pas forcément l’occasion de me réserver plusieurs heures de suite pour travailler un arbre. Avoir du temps devant soit permet incontestablement de faire du travail de qualité.

Un stage sur deux jours permet aussi de regarder ce que les autres font, de discuter, par exemple avec Patzen venu de Belgique et qui s’est joint au groupe.

Dimanche matin, lever de soleil sur les Corbières.

Certains participants ont aussi travaillés du bois mort sur les buis. Principalement aux endroits où des branches on été coupées.

Avec une fraise électrique, le bois est creusé, façonné. Mais il n’y a pas vraiment de place à la créativité personnelle, ce n’est pas de la sculpture. Le but est que le bois mort artificiel passe complètement inaperçu. Pour cela Jean-François demande d’étudier le bois mort existant et en particulier ses formes, ses ondulations. Il faut imiter ce que la nature a fait sur cet arbre, et non pas ce que la nature peut faire en général.

De même, lorsqu’un bois mort doit être affiné pour gagner en conicité sur une branche, il faut suivre les ondulations de la branche. En travaillant ainsi, dans quelques années le bois mort artificiel deviendra naturel et semblera avoir toujours été là.


Une fois que l’arbre est entièrement ligaturé, la mise en forme peut commencer. Ceux qui « le sentent » commencent à mettre en place les branches. Souvent de manière un peu scolaire. Difficile de faire quelque chose « qui en jette ». Jean-François arrive à la rescousse et modifie légèrement les plateaux, coupe des petites branches pour alléger la structure.

Il nous dit qu’il est important, lors d’une première mise en forme, d’avoir une structure de branches assez simple. Car l’arbre va rapidement se regarnir et cela risque de devenir fouillis.

Il ne faut pas trop chercher à créer du volume dans les plateaux avec la végétation existante ; le résultat sera bien meilleur si le volume est créé par le rebourgeonnement arrière.

Les dernières retouches sont faites en plaçant l’arbre devant un fond gris. Les rameaux sont placés au millimètre, quelques aiguilles coupées sur les pins, quelques feuilles sur les buis. C’est un travail de précision et c’est là qu’intervient vraiment l’artiste ; la différence avec une mise en forme classique et scolaire est flagrante.

Au final, l’avis des participants est unanime : ce type de stage permet indéniablement de progresser.

  • Une immersion sur deux jours permet de bien prendre le temps de faire les choses
  • Nous avons vraiment mis « les mains dans le cambouis », nous sommes vraiment acteurs de la mise en forme
  • Chaque participant repart avec un arbre travaillé jusqu’au bout, certains seront même exposables d’ici deux ans

Nous avons d’ores et déjà pris rendez-vous pour l’année prochaine !

En conclusion je vous laisse admirer quelques arbres de Jean-François, photographiés dans un mini studio par Patrick Bosc (pbo sur le forum).







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