Pour illustrer ton propos, clem, les légionnaires adoraient s'arrêter chez moi, quand ils étaient en entrainement de brousse dans mon secteur. Qu'un mec puisse vivre tout seul, comme ça, au milieu du zion, ça les bluffait, car ils ont la culture de l'activité en binôme, au minimum.
C'est vrai qu'il vaut mieux éviter toute blessure dans la forêt équatoriale. C'est valable pour les humains comme pour tous les autre animaux, qui évitent d'instinct toute confrontation physique si elle n'est pas absolument essentielle à la survie.
En plus, les asticots du coin ne sont pas tous les bestioles sympas de nos latitudes, mais souvent ceux de mouches lucidies bouchères, Cochliomyia hominivorax, nommées ainsi par un toubib qui avait observé leur effet dévastateur sur les bagnards. Ces mouches sont attirées par l'odeur du sang et pondent dans les plaies. Ensuite les asticots engraissent en bouffant les tissus vivants, tandis que la blessure attire d'autres mouches et de nouvelles pontes. On termine littéralement étripé par des milliers de vers. J'ai soigné deux chiens de cette saloperie, et je dois dire que c'est le rare moment où je me suis dit que la nature pouvait être cruelle.
Donc, je faisais extrèmement attention à ce que je faisais, mais surtout pour ne rien me casser ou la morsure d'une bestiole venimeuse, puisque je ne pouvais compter que sur moi-même pour m'en sortir.
En théorie, j'aurais pu effectivement faire l'objet d'un documentaire, mais jouer le mowgli solitaire devant toute une équipe de tournage est une idée bizarre qui ne m'a vraiment jamais effleuré. Il ne faut pas se faire d'illusions: tous ces docus sur les sauvages de service sont des montages ficelés avec cabines de maquillage toutes options de l'autre coté de la caméra...
Quand à savoir ce qui est le pire à vivre, comme milieu, un jour j'étais attablé avec un navigateur au long cours (en voilier, j'ai d'ailleurs moi-même habité un catamaran pendant 4 ans, après mon expérience de la forêt) et un alpiniste himalayen, et on discutait de nos expériences respectives, l'un de la solitude des grands larges océaniques, l'autre des sommets glacés de la planète, et moi de mon immense jardin. Ils étaient unanimes pour penser que la forêt était le milieu le plus dangereux et difficile, malgré tous mes arguments pour les convaincre que c'était une merveille extraordinaire à vivre. Rien n'a pu les faire changer d'opinion.